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En vous souhaitant de prendre autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.

samedi 31 octobre 2020

Word War Three 3 : tout vient à point...



Mots choisis par Alexandre.



 

Un tigre écrivain. Voilà qui n’était pas commun.

Il se levait tous les matins et griffonnait dans un calepin un compte-rendu détaillé de chacun des rêves de sa nuit.

 Qu’ils fussent horribles ou pleins d’ennui, il en notait chaque détail.

 

 

Tous les midis après manger, il partait pour se promener dans la jungle de son pays perdu au fin fond de l’Asie.

Il s’arrêtait au papetier pour lui acheter un carnet et discuter de ses écrits, du temps qui passe et des amis.

 

 

 

 Il rentrait toujours tard le soir, de sa promenade journalière. Le plus souvent, il faisait noir. Notre ami n’y voyait plus guère.

Il allait tout droit vers sa chambre qui n’était pas en haut d’un arbre puisque les tigres ne peuvent grimper. Mais chut surtout ! C’est un secret.

 

 

Il y déposait son carnet sur la vieille table de chevet et ramassait l’ancien rempli par le tout neuf, prêt à servir.

Une fois le vieux rangé ailleurs, il allait enfin s’allonger et fermer les yeux du bonheur de savoir qu’il allait rêver. 

De nouveau le matin suivant, dès qu’il avait ouvert les yeux, il noircissait les pages blanches qui ne le restaient pas longtemps.


Il le fit tant et tant de jours, qu’un soir, il fut bien embêté : il ne savait pas où ranger son recueil d’aventures nocturnes.

Dans chaque chambre, tous les murs étaient couverts jusqu’au plafond. Dans le salon, la cheminée en était pleine. Ça débordait ! Dans la cuisine, sur les armoires comme sous la table, plus de place. Même aux toilettes, ils s’empilaient et menaçaient de s’écrouler.

Que vais-je bien pouvoir en faire ? Se demanda alors le tigre, son calepin dans une main et dans le cœur une peur panique.

Il décida de demander à la seule personne qu’il voyait et partit comme tous les jours rendre visite au papetier. Celui-ci fut bien étonné de voir son plus fidèle client revenir avec le carnet qu’il avait acheté la veille :

— Qu’est-ce qui se passe qui ne va pas ? Celui-ci est-il abîmé ?

— Ce n’est pas ça. Il est très bien. Je l’ai rempli comme tous les autres, mais quand j’ai voulu le ranger je n’ai pas su où le poser. J’en ai tellement accumulé que ma maison va exploser et je ne sais plus quoi en faire. Je ne souhaite pas les jeter.

— Je suis bien d’accord avec vous. Quelle tristesse que d’agir ainsi. Il n’y a que ces fous d’êtres humains qui détruisent au lieu de donner. Vous devriez chercher quelqu’un avec qui vous partageriez.

— Qui pourrait être intéressé ?

— Pas moi. Vous m’en voyez navré. J’aime beaucoup ce que vous faites, mais je n’ai pas assez de place. Peut-être pourriez-vous passer une annonce dans un magazine ?

Le tigre fit comme suggéré et en attendant les réponses laissa ses carnets obstruer tant les couloirs que son palier.

 

Ce fut un vrai soulagement quand une lettre lui parvint d’un noble singe vivant au loin et qui voulait tous ses calepins.

Le tigre en était fort ravi et n’attendit pas pour partir rencontrer son futur sauveur. Il s’en alla le voir dans l’heure.

S’il avait dû tout faire à pied, il y aurait passé des mois. C’est loin le Kilimandjaro. Par chance il trouva un bateau.


En débarquant en Tanzanie, il croyait l’épreuve terminée. C’était avant de contempler la montagne qu’il devait grimper. Car le singe vivait tout en haut, dans un château dans les nuages, la résidence du comte d’hauteur, comme on l’appelait par ici.

Quand il eut enfin tout grimpé, cogné aux portes et patienté, le tigre fut enfin reçu dans un salon plutôt cossu. Des fauteuils au tissu doré, des tentures aux fils argentés, des tableaux de maître accrochés, une richesse bien exposée.

Le singe qui lui tendit la main avait des grimaces souriantes, mais derrière le tigre sentit, des façons un peu inquiétantes. Ses manières froidement aimables ne rassurèrent pas l’écrivain qui préféra finalement ne pas distribuer ses biens. D’autant qu’il lui fallait payer le transport et les emballages ainsi que de laisser le droit de publier tous ses carnets.

Tout prendre et promettre la gloire : c’est une promesse bien illusoire.

Remerciant le singe pour son temps, il garda pour lui ses écrits, qu’il choisit de stocker encore en cherchant un meilleur parti.

 

Il redescendit la montagne et partit courir dans la plaine pour chasser la déconvenue de sa démarche avérée vaine.

Sur son chemin, un lézard vert restait sur place à ne rien faire et un crocodile aux aguets versait des larmes. Pourquoi ? Mystère.

 Des cousins se cachaient dans l’herbe en surveillant buffles et gazelles et au lointain des éléphants barrissaient un appel pressant.

 

Bien que se sachant étranger à ce pays, ce continent, le tigre ne put s’empêcher de se ruer vers l’événement.

Comme il était un inconnu, rayures regardées sans effroi, on ne le traita pas en lion et il sut la cause de l’émoi :

 


 

Un vieux cochon de la région avait basculé dans un trou et s’était coincé les défenses dans des racines entremêlées. Cette vision surprit le tigre qui n’avait jamais vu avant de phacochère de sa vie. Il resta le dévisageant.

Le prisonnier du fond du trou voyant ce nouvel arrivant lui prêter autant d’attention s’en inquiéta fort bruyamment :

— Pourquoi t’es-tu tant avancé ? Tu es venu me dévorer ? Désolé pour toi le méchant : Le phacochère n’a pas bonne chair !

Voyant que tous les animaux l’entourant prenaient leurs distances, le tigre voulut s’expliquer, que se dissipe la méfiance :

— Du tout, ne vous y trompez pas. Je vous regardais par surprise. C’est la première fois que je vois un cochon avec de telles cornes.

— Moi pareil pour un lion rayé, répondit le coincé rageur. C’est loin d’être une bonne raison, si vous voulez mon humble avis, pour s’attarder dans vos parages, enfin, quand on tient à sa vie.

— Je suis navré pour cette peur. Je l’ai causée sans le vouloir. Le plus navrant est qu’ils ont fui et qu’il ne reste plus que nous.

— Pourquoi ? Vous vouliez un public applaudissant à mon trépas ?




— Je vous l’ai dit, ce n’est pas ça qui motivait ma réaction et je ne suis pas comme les chats : je ne grimpe pas au plafond. Je ne peux donc pas descendre et aider à vous délivrer sans risquer de me retrouver moi-même au fond et prisonnier.

— Ce doit être ma punition pour vous avoir jugé du fond. Je vous prie de me pardonner. C’était vraiment injustifié.

— C’est oublié. N’en parlons plus. D’autant que j’en ai l’habitude. Je suis le seul tigre écrivain. Leurs façons sont souvent plus rudes.

— C’est vrai, je les imagine mieux à singer leurs nobles ancêtres.

 

— Plus de singe noble, par pitié. J’ai discuté avec l’un d’eux et je ne veux plus rien à voir avec ce genre de personnage.

— Je vous comprends, cher inconnu et je sais de qui vous parlez. Il fut un temps où moi aussi je côtoyais l’individu. Mais ça ne m’avance pas beaucoup. Quand je parlais de vos aïeuls, j’imaginais leurs dents de sabre pouvant trancher tout ce fatras.


 
— Leurs dents de sabre ? Comme dans Star Wars ? Comment pouvaient-ils les porter ? Si je devais en faire autant, c’est sûr que je me blesserais.

En imaginant les objets fixés à la place des dents, le phacochère partit à rire et se roula dans tous les sens. Au point que les racines laissèrent un peu d’espace à ses défenses et qu’il put s’extirper enfin du piège et du trou à la fois.

Après s’être activé des pattes pour vite reboucher le fossé, il invita le tigre à boire un coup au point d’eau le plus proche. Tout en marchant, ils discutaient des plaines du Kilimandjaro et du château dans les nuages, raison de la venue du tigre.

Quand le cochon eut connaissance du souci qu’avait son ami, il lui proposa de l’aider en s’occupant de tout stocker. Il y aurait assez de place dans les déserts environnants et il y faisait toujours sec. Rien ne s’abîmerait jamais.

Alors, une ou deux fois par mois, le tigre et le cochon se virent, ou en Afrique, ou en Asie, selon les besoins et l’envie.

Le tigre avait les bras chargés d’un carton de sa production et le phacochère racontait ce qu’il faisait des précédents.


C’est ainsi que le tigre apprit que ces histoires couvraient le monde et qu’on tournerait même un film : le tigre aux lasers dans la bouche.

Ils en devinrent tous deux si riches que le tigre déménagea dans une maison dix fois plus grande au point qu’il n’avait plus besoin d’envoyer le moindre carnet tant il avait de quoi ranger.

Il continua malgré tout, car c’est ainsi en amitié et chacun d’entre eux savoura, partage et réciprocité.




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