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samedi 13 juin 2020

WW3 1 : et réciproquement !

Word War Three 1 : et réciproquement.

Chouette chevêche — kumquat — optimisme.
(Mots choisis par Lalex : @LalexAndrea)


 
Quand les humains se mirent à croire en une trinité unique, les anciens dieux décidèrent de repartir vers l’Olympe. Au moment de les rejoindre, moi, Athéna, proposai à ma chouette de rester sur terre plutôt que de m’accompagner. Elle accepta et me promit en retour chacun des trésors de sagesse qu’elle et ses enfants découvriraient. Pour eux, j’installai un conclave sous la montagne et y laissai une oreille incrustée dans la pierre. Le grand chevêché était né et seuls les descendants de mon amie ailée entendirent encore parler de moi.

 
Dans ce lieu de roches et de vents, tous les cent ans, les représentantes des chouettes chevêches du monde entier se réunissaient pour partager leurs connaissances. Dans les premiers temps, elles y échangèrent des savoirs de qualité. Après quelques siècles, les plaintes concernant les humains supplantèrent en nombre les annonces de leur créativité. Ce furent d’abord de simples constats :
— Un hululement suffit à leur donner l’envie de nous tuer !
— Ils ont écrit nos noms dans leur livre des êtres à haïr !
— Pénétrer une de leurs demeures signifie mourir !
 

Pour leur propre bien, les chouettes tentèrent de renouer alliance comme du temps où elles m’accompagnaient, avec un druide magicien d’une grande sagacité. Sa présence à leurs côtés améliora la situation, mais Merlin quitta le monde à son tour et au conclave suivant, tout était redevenu comme avant :
— Ils viennent dans nos nids voler nos œufs !
— Certains nous vendent comme médecine !
— Pire, ils nous tuent sans nous manger et nous clouent à leurs portes !


Des cathédrales s’élevèrent, des canons rugirent et le chemin de fer allait bientôt s’étendre sur tous les continents sans que les humains aient changé d’attitude.
Au dix-huitième conclave, les chouettes étaient exaspérées :
— C’en est trop ! Disparaissons du jour et vivons la nuit pour le bien de nos petits ! Laissons-les à leur folie et gardons nos connaissances pour ceux qui en veulent !

 
Toutes pourtant ne partageaient pas cet avis. Celle qui venait d’Angleterre avait encore à l’esprit les leçons transmises de mère en fille depuis l’époque de la table ronde :
— Il faut savoir donner pour recevoir, parfois.
Les autres se moquèrent d’elle et lui conseillèrent de se préparer à regretter sa générosité :
— Tu ne récolteras que violence et mort en retour !
— C’est peut-être vrai. Je me dois de persévérer malgré tout jusqu’à y arriver, car c’est une des primes vérités que la déesse nous a enseignées.
À ce rappel de qui elles étaient, un long silence tomba et aucune ne tenta plus de la dissuader. Quand le conclave fut terminé, celle-ci repartit dans son île, en train puis en bateau jusqu’à cette grange où elle avait élu domicile par le passé.


Le propriétaire avait changé. Lorsqu’il aperçut sa locataire, il ne vit que deux yeux ronds briller dans le noir et se sauva en criant « au malin ». Quelques minutes plus tard, ils venaient en nombre, mettaient le feu en hurlant et la chouette ne dut sa survie qu’à des tuiles mal fixées sur le toit et à la fumée qui la cacha aux regards tandis qu’elle s’enfuyait.


 
Elle vola à travers champs et trouva refuge dans l’orangerie d’une maison inhabitée où pendant plusieurs semaines, elle put vivre en toute tranquillité. Jusqu’au retour de l’occupant.

 

Cet homme, la chouette ne l’apprendrait qu’ensuite, s’appelait Robert Fortune. Il appartenait à la société royale anglaise d’horticulture et rentrait de voyage avec une douzaine de pieds d’un arbre encore inconnu en Angleterre : le kumquat.








La chouette se souvint que l’on avait dit en conclave qu’il était dur à cultiver. Toujours échaudée par sa dernière mésaventure, elle souhaita bien du courage à ce nouvel arrivant, s’il s’y essayait.
En effet, soleil, humidité, ou engrais, rien n’y fit. Dix fois Robert tenta de faire prendre racine à ses pieds, dix fois ils moururent. Le plus curieux pour celle qui l’observait en secret, c’est qu’il n’était pas fâché contre la vie, le destin ou toute autre chose du même genre comme le sont souvent les humains. Il était juste désolé de ne pas avoir réussi après tant d’efforts. Cela, elle le comprit bien. Ses propres paroles lui revinrent à l’esprit, alors elle décida de l’aider.



Quand Robert Fortune voulut planter les deux derniers pieds de kumquat qui lui restaient, la chouette lui tomba sur la tête et les lui prit des mains avant de s’envoler. Le premier réflexe de l’homme fut d’aller fermer la porte de l’orangerie pour qu’elle ne s’enfuie pas, mais ce n’était pas son intention. Il la vit circuler entre les nombreux arbres en pot, s’arrêter sur un et sur un second puis partir sur une des barres du dôme central en lançant un « werro » retentissant qui pouvait dire : regarde !
Robert s’approcha des deux qu’elle avait signalés, un oranger et un citronnier. La chouette avait posé un pied de kumquat sur chacun d’eux. En bon botaniste, il ne lui fallut qu’un instant pour comprendre :
— Une greffe ! C’est cela ?
Un autre « werro » ressemblant à un oui résonna. Il hocha la tête :
— Après tout, pourquoi pas ! J’ai tenté tout le reste. Essayons !
Les mois qui suivirent furent pleins d’attente anxieuse ainsi que d’espérance et d’échanges amicaux. Quand Robert s’inquiétait, la chouette chantait pour le rassurer. Lui prit l’habitude de laisser à manger pour elle. Il s’occupa aussi de cette partie du toit où les vents s’engouffraient en sifflant et dont il avait toujours repoussé la réparation.


Lorsque la première floraison d’un blanc pur parfuma l’orangerie, il sut que c’était gagné. Les fruits ne tardèrent pas à apparaître et Robert en pleura de joie :
— Merci, l’amie. Sans toi, je n’y serais pas parvenu.
Le « werro » qu’elle lança en battant des ailes voulait dire : avec plaisir ! C’est en tout cas ainsi que Robert le prit.

Dans les semaines qui suivirent, il présenta sa réussite à ses collègues et la chouette à sa famille. D’abord un peu méfiants, les uns comme les autres finirent par se montrer enthousiastes. Le kumquat se généralisa en Angleterre et une partie des combles devint le nid attitré de la nouvelle amie de la maison. Cinq œufs blancs y firent leur apparition. Ils se changèrent en poussins un mois plus tard et le fils de Robert se prit de passion pour ces nouveaux venus dont il s’occupa toute sa vie.

   
 
Devenu grand et relatant l’aventure de son père, il découvrit alors avec ahurissement comment les autres gens jugeaient et traitaient cet animal que lui trouvait admirable. Il se promit d’y remédier.



Au dix-neuvième conclave, la fille de la chouette leur raconta cette aventure à son tour et toutes se déclarèrent ravies, car même si ce n’était pas encore une véritable paix, c’était un peu d’espoir de savoir qu’un humain s’était montré reconnaissant. Cela prouvait aussi que les paroles de la déesse et celles de Merlin étaient vraies.







C’est au vingtième conclave que la fille de la fille de la fille confirma que son ancêtre avait eu raison. Le fils de Robert avait rejoint la société ornithologique britannique, insisté pour que soit créée une commission et cette dernière avait démontré ce que les sages savaient déjà depuis longtemps : que la chouette chevêche est un animal qu’il est bon d’avoir à ses côtés !


Moi, Athéna, je ne peux pas imaginer ce qu’elles me raconteront la prochaine fois, mais je me sens en droit d’espérer. Je suis convaincue que ces retrouvailles se révéleront riches en nouveautés, car cette chouette et ses descendantes ont su redonner à leurs sœurs, au-delà de la connaissance, de la sagesse et de la science, un bel optimisme. Ce qui est le plus important quand on souhaite découvrir le monde.



FIN

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