Word
War Three 1 : et réciproquement.
Chouette
chevêche — kumquat — optimisme.
(Mots
choisis par Lalex : @LalexAndrea)
Quand
les humains se mirent à croire en une trinité unique, les anciens
dieux décidèrent de repartir vers l’Olympe. Au moment de les
rejoindre, moi, Athéna,
proposai à ma chouette de rester sur terre plutôt que de
m’accompagner. Elle accepta et me promit en retour chacun des
trésors de sagesse qu’elle et ses enfants découvriraient. Pour
eux, j’installai un conclave sous la montagne et y laissai une
oreille incrustée dans la pierre. Le grand chevêché était né et
seuls les descendants de mon amie ailée entendirent encore parler de
moi.
Dans
ce lieu de roches et de vents, tous les cent ans, les représentantes
des chouettes chevêches du monde entier se réunissaient pour
partager leurs connaissances. Dans les premiers temps, elles y
échangèrent des savoirs de qualité. Après quelques siècles, les
plaintes concernant les humains supplantèrent en nombre les annonces
de leur créativité. Ce furent d’abord de simples constats :
— Un
hululement suffit à leur donner l’envie de nous tuer !
— Ils
ont écrit nos noms dans leur livre des êtres à haïr !
— Pénétrer
une de leurs demeures signifie mourir !
Pour
leur propre bien, les chouettes tentèrent de renouer alliance comme
du temps où elles m’accompagnaient, avec un druide magicien d’une
grande sagacité. Sa présence à leurs côtés améliora la
situation, mais Merlin quitta le monde à son tour et au conclave
suivant, tout était redevenu comme avant :
— Ils
viennent dans nos nids voler nos œufs !
— Certains
nous vendent comme médecine !
— Pire,
ils nous tuent sans nous manger et nous clouent à leurs portes !
Des
cathédrales s’élevèrent,
des
canons rugirent
et
le chemin de fer allait
bientôt s’étendre
sur
tous les continents
sans que les humains aient
changé
d’attitude.
Au
dix-huitième conclave, les
chouettes étaient exaspérées :
— C’en
est trop ! Disparaissons du jour et vivons la nuit pour le bien
de nos petits ! Laissons-les à leur folie et gardons nos
connaissances pour ceux qui en veulent !
Toutes
pourtant ne partageaient pas cet avis. Celle qui venait d’Angleterre
avait encore à l’esprit les leçons transmises de mère en fille
depuis l’époque de la table ronde :
— Il
faut savoir donner pour recevoir, parfois.
Les
autres se moquèrent d’elle et lui conseillèrent de se préparer à
regretter sa générosité :
— Tu
ne récolteras que violence et mort en retour !
— C’est
peut-être vrai. Je me dois de persévérer malgré tout jusqu’à y
arriver, car c’est une des primes vérités que la déesse nous a
enseignées.
À
ce rappel de qui elles étaient, un long silence tomba et aucune ne
tenta plus de la dissuader. Quand le conclave fut terminé, celle-ci
repartit dans son île, en train puis en bateau jusqu’à cette
grange où elle avait élu domicile par le passé.
Le
propriétaire avait changé. Lorsqu’il aperçut sa locataire, il ne
vit que deux yeux ronds briller dans le noir et se sauva en criant
« au malin ». Quelques
minutes plus tard, ils venaient en nombre, mettaient le feu en
hurlant et la chouette ne dut sa survie qu’à des tuiles mal fixées
sur le toit et à la fumée qui la cacha aux regards tandis qu’elle
s’enfuyait.
Elle vola à travers champs et trouva refuge dans l’orangerie d’une maison inhabitée où pendant plusieurs semaines, elle put vivre en toute tranquillité. Jusqu’au retour de l’occupant.
Cet
homme, la chouette ne l’apprendrait qu’ensuite, s’appelait
Robert Fortune. Il appartenait à la société royale anglaise
d’horticulture et rentrait de voyage avec une douzaine de pieds
d’un arbre encore inconnu en Angleterre : le kumquat.
La
chouette se souvint que l’on avait dit en conclave qu’il était
dur à cultiver. Toujours échaudée par sa dernière mésaventure,
elle souhaita bien du courage à ce nouvel arrivant, s’il s’y
essayait.
En
effet, soleil, humidité, ou engrais, rien n’y fit. Dix fois Robert
tenta de faire prendre racine à ses pieds, dix fois ils moururent.
Le plus curieux pour celle qui l’observait en secret, c’est qu’il
n’était pas fâché contre la vie, le destin ou toute autre chose
du même genre comme le sont souvent les humains. Il était juste
désolé de ne pas avoir réussi après tant d’efforts. Cela, elle
le comprit bien. Ses propres paroles lui revinrent à l’esprit,
alors elle décida de l’aider.
Quand
Robert Fortune voulut planter les deux derniers pieds de kumquat qui
lui restaient, la chouette
lui tomba sur la tête et les lui prit des mains avant de s’envoler.
Le premier réflexe de l’homme fut d’aller fermer la porte de
l’orangerie pour qu’elle ne s’enfuie pas, mais ce n’était
pas son intention. Il la vit circuler entre les nombreux arbres en
pot, s’arrêter sur un et sur un second puis partir sur une des
barres du dôme central en lançant un « werro »
retentissant qui pouvait dire : regarde !
Robert
s’approcha des deux qu’elle avait signalés, un oranger et un
citronnier. La chouette avait posé un pied de kumquat sur chacun
d’eux. En bon botaniste, il ne lui fallut qu’un instant pour
comprendre :
— Une
greffe ! C’est cela ?
Un
autre « werro » ressemblant à un oui résonna. Il hocha
la tête :
— Après
tout, pourquoi pas ! J’ai tenté tout le reste. Essayons !
Les
mois qui suivirent furent pleins d’attente anxieuse ainsi que
d’espérance et d’échanges amicaux. Quand Robert s’inquiétait,
la chouette chantait pour le rassurer. Lui prit l’habitude de
laisser à manger pour elle. Il s’occupa aussi de cette partie du
toit où les vents s’engouffraient en sifflant et dont il avait
toujours repoussé la réparation.
Lorsque
la première
floraison d’un blanc pur parfuma l’orangerie, il sut que c’était
gagné. Les fruits ne tardèrent pas à apparaître et Robert en
pleura de joie :
— Merci,
l’amie. Sans toi, je n’y serais pas parvenu.
Le
« werro » qu’elle lança en battant des ailes voulait
dire : avec plaisir ! C’est en tout cas ainsi que Robert
le prit.
Dans
les semaines qui suivirent, il présenta sa réussite à ses
collègues et la chouette à sa famille. D’abord un peu méfiants,
les uns comme les autres finirent par se montrer enthousiastes. Le
kumquat se généralisa en Angleterre et une partie des combles
devint le nid attitré de la nouvelle amie de la maison. Cinq œufs
blancs y firent leur apparition. Ils
se changèrent en poussins un mois plus tard et le fils de Robert se
prit de passion pour ces nouveaux venus dont il s’occupa toute sa
vie.
Devenu
grand et relatant l’aventure de son père, il découvrit alors avec
ahurissement comment les autres gens jugeaient et traitaient cet
animal que lui trouvait admirable. Il
se promit d’y remédier.
Au
dix-neuvième conclave, la fille de la chouette leur raconta cette
aventure à son tour et toutes se déclarèrent ravies, car même si
ce n’était pas encore une véritable paix, c’était un peu
d’espoir de savoir qu’un humain s’était montré reconnaissant.
Cela prouvait aussi que les paroles de la déesse et celles de Merlin
étaient vraies.
C’est
au vingtième conclave
que
la fille de la fille de la fille confirma que son ancêtre avait eu
raison. Le fils de Robert avait rejoint la société ornithologique
britannique,
insisté pour que soit
créée
une commission et
cette dernière
avait
démontré
ce
que les sages savaient déjà depuis longtemps : que
la
chouette
chevêche est
un animal qu’il est bon d’avoir
à ses côtés !
Moi,
Athéna, je ne peux pas imaginer ce qu’elles me raconteront la
prochaine fois, mais je me sens en droit d’espérer. Je suis
convaincue que ces retrouvailles se révéleront riches en
nouveautés, car cette chouette et ses descendantes ont su redonner à
leurs sœurs, au-delà de la connaissance, de la sagesse et de la
science, un bel optimisme. Ce qui est le plus important quand on
souhaite découvrir le monde.
FIN
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