Le
néant ? Nous ne l’avons jamais vu, ni sommes jamais allé. Nous ne
pouvons l’imaginer. Mais nous savons que c’est par lui que tout a
commencé. Un rien total, absolu, sans limites, infini.
Puis
vint une conscience. Comment ? Qui sait. Peut être existait-il deux
aspects du néant qui, un instant, s’unirent comme amants et eurent un
enfant, la plus belle des enfants : l’entité.
L’entité
erra et grandît dans le néant pendant, peut-être des millions d’années,
peut-être juste un instant. Dans son errance, l’entité laissait des
marques dans le néant, des traces de son passage. Le néant se couvrit de
lumières étincelantes, blanches et scintillantes.
L’entité,
voyant le néant illuminé, s’arrêta pour regarder. Elle s’approcha d’une
des lumières qui grossit jusqu’à devenir le soleil et inonda l’entité
de chaleur. L’entité comprit alors que ce qu’elle ressentait avant était
le froid du vide, une sensation qu’elle n’avait jamais aimé. Plus
jamais elle ne quitterait ce soleil qui savait la réchauffer.
Mais
le soleil pouvait aussi brûler. La surface de l’entité se couvrît de
cloques et de fumées, volcans et nuages noirs de cendres et de scories.
Sa peau se craquela et déversa la lave. L’entité souffrait et pleurait
de douleur. Des nuages de vapeurs s’élevaient autour d’elle.
L’entité
s’éloigna du soleil et se refroidît mais ressentît de nouveau le froid
du vide. Elle revint vers le soleil. S’en écarta encore et se rapprocha.
Elle se mît alors à tourner autour du soleil et tourner sur elle-même,
pour que toujours le soleil lui procure sa chaleur sans jamais la
blesser.
Les
larmes avaient formé des rivières, les rivières des fleuves et les
fleuves des océans. Toute cette eau de tristesse accumulée stagnait,
croupissait. L’entité s’ennuyait. Elle aurait voulu quelqu’un à qui
parler. C’est alors qu’apparût, à l’instant où elle l’avait souhaitée,
une sphère blanche. L’entité l’attira à elle, lui chuchota des mots de
tendresse. Les océans s’agitèrent. Des vagues de bonheur vinrent éclater
de rire sur les terres. Tout à leur plaisir, l’entité et la sphère se
mirent à danser autour du soleil. Et ils dansent toujours.
Du
bonheur d’être aimée, l’entité se sentait pleine de vie. Elle l’était.
Les plantes des marais, les fougères, les buissons, les grands arbres
poussèrent. Les poissons, les oiseaux, les chèvres, les loups se
multiplièrent.
Vinrent
les êtres pensants, elfes, nains, humains et d’autres encore, qui
s’émerveillèrent de la beauté de l’entité ou ne la remarquèrent pas.
Certains d’entre eux s’installèrent au bord des océans ou des rivières.
D’autres dans les plaines et les collines. Il y en eut pour s’enfoncer
sous les montagnes. Les elfes préférèrent les forêts.
Printemps,
étés, automnes, hivers se succédaient, révélant les secrets du grand
cycle de vie à ceux qui voulaient bien voir, apprendre et comprendre.
Les elfes virent, apprirent et comprirent. Ils virent les animaux, les
végétaux, les minéraux, si différents et pourtant si semblables. Ils
apprirent les liens qui les reliait entre eux. Ils comprirent que ces
liens formaient un tout et qu’ils en faisaient partie. Ils nommèrent ce
tout Aënëa.
L’entité
avait maintenant un nom auquel elle pouvait répondre lorsqu’on
l’appelait. Les êtres conscients s’en servirent tant et plus encore et
Aënëa comprit ainsi que bien qu’étant nés d’elle, ils avaient leur
propre autonomie.
Par
le biais des grands prêtres, ils communiquèrent avec Aënëa qui leur
apprit de nombreux savoirs secrets. Jusqu’à ce qu’un jour, les grand
prêtres ressentent une terrible souffrance, un déchirement et puis plus
rien.
C’est
alors que les dieux apparurent. Leurs pouvoirs étaient grands.
Certains, bons, apportaient leurs bienfaits d’un sourire ou d’une
caresse. D’autres, mauvais, semaient le mal d’un regard ou d’un geste.
Nombreux les révérèrent alors. Mais pas les elfes qui toujours
s’opposèrent à eux, affirmant que leurs pouvoirs leur venaient de Aënëa
et que c’était elle qu’ils continueraient de prier et de remercier. Un
instant, certains dieux firent mine de détruire les forêts des elfes
mais ces derniers, confiants en Aënëa, attendirent sereinement et c’est
peut-être ce qui fit reculer les dieux. Non seulement ils n’attaquèrent
pas, mais ils se retirèrent et ne vinrent plus voir les elfes.
Les
elfes continuèrent à célébrer Aënëa, la remerciant de tout ce qu’elle
leur accordait. Et elle leur apparut. Des elfes avaient formé grand
cercle au cœur de la forêt et depuis de nombreuses heures chantaient
doucement le long remerciement du printemps lorsqu’au centre de la
clairière une masse multiforme, changeante, à la fois solide, liquide,
gazeuse, faite de visages et de corps, de branches et de racines, de
pattes et d’ailes, parcourue d’éclairs, créatrice de vent, inondant de
lumière et plongeant dans l’obscurité se matérialisa. « Je suis Aënëa »
dirent les bouches des multiples visages « j’ai pris, pour un instant,
cette forme de moi, pour te dire, être conscient, que je t’entend. Je
viens ici passer avec toi un pacte, le pacte d’un instant. Lorsque tu ne
sauras plus quoi faire, quoi dire, que ton chemin te semblera trop
obscur ou trop clair. Alors, pour un instant, en souvenir de cet autre
instant où tu n’as pas hésité à te sacrifier pour ta foi en moi, une
part de moi viendra à toi t’aider à trouver le chemin. Pour un instant. »
Et elle disparut.
Les
chemins des elfes parfois se séparèrent, parfois se mêlèrent à ceux des
humains ou des nains. Certains devinrent noirs, d’autres bâtirent des
cités de pierre mais tous partageaient, même ceux qui plus tard
acceptèrent de servir certains dieux, ce souvenir de Aënëa venue, pour
un instant, leur montrer le chemin.
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